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TOUS LES PAYS NE TIRENT
PAS AVANTAGE
DE L’ÉCHANGE INTERNATIONAL
Cette thèse
keynésienne a été reprise, sur une base analytique d’inspiration
néo-classique, par La
politique économique qui vise à inscrire l’économie d’un pays dans le cadre
du libre-échange international, dont l’Organisation Mondiale du Commerce
(OMC) est l’un des principaux agents, a un fondement théorique contestable et
contesté. Les contestataires ne sont pas uniquement ceux qui s’inspirent de
l’analyse keynésienne ; s’appuyant sur la réalité contemporaine, les
promoteurs de La
version de la théorie néo-classique qui constitue le fondement de la
politique de libre-échange des pays capitalistes développés a commencé d’être
élaborée il y a près d’un siècle par E. Heckscher, en 1919.
Elle tendait à redémontrer la validité, sur une base analytique nouvelle,
d’une thèse formulée en 1817 par D. Ricardo : le libre-échange
international est une situation préférable à toute autre, autrement dit un
optimum, parce que tous les pays qui s’y engageraient amélioreraient leur
bien-être. L’analyse
de E. Heckscher, [complétée par celle de B. Ohlin (1933) et de P.A Samueslon
en 1948-1949], qui a constitué le credo néo-classique connu sous le nom de
Théorème H.O.S (les initiales des trois économistes) et qui (re)démontre la
justesse de la conclusion ricardienne de la supériorité du libre-échange
international sur le protectionnisme, reposait sur deux hypothèses : les
marchés sont en concurrence pure et parfaite et les rendements d’échelle sont
constants. Des économistes
néo-classiques, qui continuent de penser que le libre-échange doit rester
l’objectif, ont rejeté ces deux hypothèses du Théorème H.O.S parce que
non conformes à la réalité contemporaine ; selon eux la concurrence est
imparfaite et les rendements d’échelle sont croissants. Sur cette
base, ces économistes néo-classiques, contestataires du Théorème H.O.S,
regroupés sous l’appellation de Nouvelle Théorie du Commerce International,
ont établi qu’il pouvait être avantageux pour un pays de protéger le marché
national afin de renforcer la position de l’appareil productif national face
à la concurrence étrangère. À l’abri des frontières, cet appareil productif
pourrait alors se renforcer en répondant seul à la demande intérieure qui,
sans protection du marché national, aurait été satisfaite par des
marchandises étrangères ; l’emploi national en serait amélioré. Il se
trouve donc des économistes néo-classiques modernes qui considèrent 1°) que
l’amélioration du bien-être d’un pays engagé dans l’échange international
peut se faire au prix d’une détérioration du bien-être d’autres pays 2°) que
la demande intérieure peut être le moteur du renforcement de l’appareil
productif national donc de la réduction du chômage dans l’espace national. La
question de savoir 1°) si le
libre-échange international peut améliorer le bien-être de tous les pays 2°)
si la demande intérieure peut être le moteur susceptible d’entraîner la
croissance n’oppose
donc pas seulement la vieille théorie néo-classique, qui inspire les partisans
du libre-échange international, à la théorie keynésienne mais aussi cette
vieille théorie à la nouvelle théorie néo-classique. Un point d’histoire de la pensée économique. Le
conflit entre la vieille théorie néo-classique du commerce international
(Théorème H.O.S) et D.
Ricardo à propos duquel Halevy écrivait que “le parti du
libre-échange a trouvé son grand doctrinaire” (Halevy 1913 : 307) était
un économiste anglais qui défendait les intérêts du Royaume Uni. Ce pays, étant le berceau de Cette
thèse était rejeté par l’économiste français F. Bastiat auquel fait référence mon ami, le
professeur Jacques Brasseul, qui conteste le qualificatif
« obscur » que je lui appliqué (dans l’article UN PARTI PRIS
THÉORIQUE) au motif que les manuels d’histoire de la pensée économique citent
cet auteur. Dans son Histoire sommaire de la pensée économique,
E. James écrit : « Bastiat fut surtout un pamphlétaire (…) son
grand ouvrage, Les Harmonies
économiques (1850) (…) fut surtout écrit contre le protectionnisme (…) On
ne saurait affirmer que Bastiat ait fait faire à la théorie économique un
progrès quelconque » (James 1965 : 113-115). Nul ne
saurait contester à J.A SCHUMPETER le statut de grand spécialiste de
l’histoire de la pensée économique. Or, il écrivait à propos de F. Bastiat :
« C’était un libre-échangiste musclé et un enthousiaste du
laisser-faire, il connut une gloire soudaine grâce à un article brillant (…)
son nom aurait pu passer à la postérité comme celui d’un journaliste
économique (…) Mais les deux dernières années de sa vie (…) il s’embarqua sur
un travail de nature différente, dont un premier volume, les Harmonies économiques, fut publié en
1850 (…). Les déficiences de sa capacité de raisonnement, ou en tout cas de
son pouvoir de manier l’appareil analytique de l’économie, le mettent hors de
cour. Je ne soutiens pas que Bastiat était un mauvais théoricien, je soutiens
que ce n’était pas un théoricien (…) Je ne peux voir aucun mérite
scientifique dans les Harmonies »
(Schumpeter 1983 : tome II 168-169). J.A
SCHUMPETER considérait que L. WALRAS, le principal des pères fondateurs du
courant néo-classique, était la « magna carta » de l’analyse
économique ; autant dire que la théorie walrasienne était sa référence.
Or, cette dernière aboutissait à nier toute possibilité d’exploitation. Comme
c’est sur ce concept d’exploitation que K. MARX construisit son analyse du
capitalisme, autant dire que L. WALRAS, et donc J.A SCHUMPETER, étaient dans
une opposition théorique irréductible à K. MARX. Pourtant,
et pour des raisons différentes, K. MARX avait une piètre opinion de F.
Bastiat qui transparaît, notamment, dans son introduction des Principes d’une critique de l’économie
politique (Karl Marx 1965 : tome 2, 175-187). Elle est trop longue
pour pouvoir être reproduite ici. Mais l’opinion de K. MARX sur F. Bastiat
peut être résumée par un extrait de la postface de la seconde édition
allemande de Le Capital :
« F. Bastiat, le représentant le plus plat (…) de l’économie
apologétique » (Karl Marx 1965 : tome 1, p.555), c’est-à-dire de
l’économie non scientifique. À la
lecture de ces opinions émises par des auteurs appartenant à des mouvances
théoriques fort diverses, voire opposées, on peut se demander s’il n’eut pas été
préférable que la mémoire de F. Bastiat sombrât dans l’obscurité dont
l’histoire sait parfois envelopper certains de ceux qui ont pu faire illusion
à un moment donné. Hyères, le 9 février
2009 André SEGURA Maître de Conférences UFR de Sciences économiques Université du Sud Toulon Var JAMES, Émile
1965 : Histoire sommaire de la
pensée économique, Ed. Montchrestien, Paris MARX, Karl 1965 : Œuvres, Gallimard, Paris SCHUMPETER, Joseph A.
1983 : Histoire de l’analyse
économique, Gallimard, Paris |