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AGENCES
DE NOTATION, FÉDÉRALISME
OU
SOUVERAINETÉ
NATIONALE Depuis plusieurs mois, les agences de notation sont dans le
“collimateur” des hommes politiques et
des journalistes. La dégradation de la note des USA de AAA à AA+ a
provoqué un flot de réactions qui manquent leur cible. Une telle dégradation a, bien sûr, de quoi inquiéter. Elle ne
manquera pas de provoquer une augmentation du taux d’intérêt associé aux
emprunts publics US. Comme les secteurs de la finance internationale ne sont
pas étanches, le coût des emprunts publics des autres États et des emprunts privés
s’en trouvera affecté à la hausse. Au niveau international, il faudra s’attendre à deux
conséquences : 1°) un surcroît d’effort des décideurs dans le sens d’une
réduction de la dépense publique 2°) un frein à l’investissement privé et à
la demande privée de biens de consommation du fait du renchérissement du coût
du crédit. Autrement dit, toutes les composantes de la demande globale
seront affectées ; ce qui aura pour effet de provoquer un ralentissement
de l’activité économique et donc une hausse du nombre des chômeurs. En admettant que cela soit possible, faudrait-il “neutraliser”
les agences de notation privées pour résoudre le problème ? On ne fait
pas tomber la fièvre en cassant le thermomètre. Par ailleurs, il est tout à fait légitime que des agences de
notation cherchent à éclairer les investisseurs dans leurs choix entre les
différentes opportunités de prêts. La seule solution est de faire sortir le déficit public du
domaine d’analyse des agences de notation en retranchant son financement du
champ de l’investissement privé. Deux voies alternatives pour ce faire : 1°) créer une
obligation de suppression du déficit en faisant de l’équilibre budgétaire une
règle d’or inscrite dans la constitution ou 2°) rétablir la possibilité pour l’État
national de financer le déficit public par la création monétaire. La première voie serait inefficace. Si tous les pays européens
s’y engageaient, les échanges intra-européens constituant l’essentiel de
leurs commerces extérieurs, ils sombreraient dans une dépression qui
provoquerait une diminution des recettes fiscales ; ce qui condamnerait
leurs gouvernements à rentrer dans une spirale de réduction des dépenses
publiques sans jamais atteindre l’équilibre recherché. Cette poursuite
effrénée de la chimère de l’équilibre des comptes publics s’accompagnerait du
développement du chômage dans un contexte où les dépenses sociales feraient
les frais, n’en doutons pas, de la politique d’austérité budgétaire ; le
terreau serait constitué sur lequel se développerait l’instabilité sociale. Reste la deuxième voie qui permettrait à l’État de ne plus avoir
recours aux prêts du secteur privé pour financer son déficit. Dès lors,
l’appréciation du crédit d’un État par les agences de notation perdrait tout
sens puisque le financement du déficit public ne serait plus une occasion
d’investissement de capitaux privés. Aujourd’hui, cette deuxième voie ne peut pas être légalement
empruntée dans Pourtant, en pleine tourmente financière, Mais une telle solution poserait deux problèmes. Le premier est un problème de cohérence. N’y aurait-il pas
contradiction entre le financement des déficits par la création monétaire et
l’unique but de Le deuxième problème est de nature politique. Si Dans ces conditions, de deux choses l’une : 1°) Soit l’État
membre continue de déterminer librement le déficit public et doit chercher à
se financer pour partie sur le marché. L’objectif de soustraire la dette des
États membres à l’appréciation des agences de notation ne serait pas atteint
2°) L’État membre n’est plus libre de déterminer son déficit. Tous les États
de la zone euro se soumettent à une autorité budgétaire centrale qui leur
impose le respect de la règle fixée par le Traité sur l’Union Européenne
(Traité de Maastricht) (le déficit doit être au égal maximum à 3% du PIB) ou
la fameuse règle d’or ; en contrepartie, leurs déficits sont
systématiquement et intégralement financés par la création monétaire. C’est
alors cette autorité qui, en fixant le déficit des États membres, décide de
la création monétaire pour répondre aux besoins de financement publics ;
La perte de la souveraineté budgétaire par les États membres
suivrait logiquement celle de la souveraineté monétaire. Une dose massive de
fédéralisme serait injectée dans Le résultat serait que la perte de pouvoir des États membres de Mais le fédéralisme européen n’est pas la seule alternative aux
agences de notation. Le financement des déficits publics par la création
monétaire pour soustraire les États auxdites
agences, tout en conservant une capacité à relancer la croissance par
la dépense publique, pourrait passer
par l’abandon de l’euro pour revenir aux monnaies nationales gérées par des
banques centrales nationales dépendantes du pouvoir politique, comme c’était
le cas en France, notamment, avant que les États membres de ladite zone ne
s’inscrivent dans la perspective de la mise en place de la monnaie unique. La récupération par la nation du pouvoir monétaire perdu serait
non seulement la récupération de l’un des leviers de la politique économique,
la politique monétaire, mais aussi celle d’une liberté au niveau de la
politique budgétaire qui, aujourd’hui, est largement illusoire sous la double
contrainte du Traité de Maastricht et de l’appréciation des agences de
notation, dans un contexte de concurrence fiscale entre pays membres de
l’Union européenne. On ne manquera pas de souligner que la récupération par la nation
de son pouvoir monétaire dans la perspective de financer ses déficits, hors
la contrainte des marchés financiers, provoquerait une accélération de
l’inflation sans garantir la résorption du chômage dans un contexte
d’économie ouverte. Même en admettant que l’inflation soit le prix à payer pour cette
modification du mode de financement des déficits publics, l’accentuation de la
hausse des prix aurait pour effet d’alléger la charge financière des
emprunteurs privés donc stimulerait l’investissement privé, l’une des
principales composantes de la demande globale. Mais, bien évidemment, il
n’est pas certain que la stimulation de la demande nationale profite à
l’emploi national. Dans ce contexte, la réduction du chômage impliquerait de
protéger le marché national de la concurrence étrangère. Les entreprises
tournées vers la satisfaction de la demande intérieure y trouveraient avantage.
Mais, les réactions en chaîne ne manqueraient pas de se produire
et le repli sur elles-mêmes des économies nationales aurait pour effet une
contraction des échanges internationaux.
Les entreprises, situées sur le territoire national, réalisant une partie
de leurs chiffres d’affaires sur les marchés extérieurs perdraient des
débouchés avec les conséquences que l’on imagine sur l’emploi. Une stimulation de la demande intérieure par l’augmentation de la
dépense publique, que le financement du déficit par la création monétaire
rendrait possible, compenserait cet effet sur l’emploi de la réaction en
chaîne ; autrement dit, le déficit public financé par la création
monétaire redeviendrait le moyen de stimuler la production et l’emploi,
contrairement à ce que fait le financement du déficit par l’emprunt. Par
ailleurs, les entreprises ayant des débouchés sur le marché national y
relocaliseraient (une partie de) leurs activités de production. Directement ou indirectement, les salariés et les retraités
bénéficieraient d’une reprise de la politique d’expansion budgétaire permise
par la récupération de la souveraineté monétaire par la nation ; cette
politique stimulant la demande intérieure, objectivement, et sur ce point,
les intérêts des entreprises tournées vers sa satisfaction convergeraient
avec ceux des salariés et des retraités et s’opposeraient à ceux des
entreprises orientées vers les marchés extérieurs. Une ligne de clivage
passerait au milieu des entreprises et créerait deux blocs dont les intérêts
seraient dans un état de contradiction irréductible. Il apparaît donc que les deux voies qui pourraient être
empruntées pour libérer le pouvoir politique de l’emprise des agences de
notation, fédéralisme et récupération de la souveraineté nationale, n’auraient
pas le même impact sur les situations des différents agents économiques. Le choix entre ces deux voies est un problème politique majeur. Hyères, le 8 août 2011 André SEGURA Maître de conférences des universités Université du Sud-Toulon-Var |